Chapitre 1 : Arrestation - Fresnes

 

Octobre 1943 - Janvier 1944

 

Nous sommes le 1er Octobre 1943. C’est le jour de la rentrée des classes. Le jour se lève. Soudain on frappe à la porte. Une voix s’élève : « FANGUETTE ! FANGUETTE ! - c’est la prononciation de FANGET en allemand.Tiens me dis-je, il doit y avoir un « pépin » au central téléphonique allemand dont je m’occupe avec les autres collègues. Je me lève donc et me présente à la porte de la cuisine. Je reconnais immédiatement par leur tenue (chapeau, long imperméable et bottes), que j’ai devant moi deux agents de la « Gestapo ». Sans rien dire, ils me poussent dans la cuisine et visitent immédiatement toutes les chambres. Dans l’une d’elles, dorment mes deux enfants : Gilles, sept ans et demi et Josette six ans. Ils ouvrent les armoires et les placards, jettent un coup d’œil rapide dans les différents tiroirs. Sans aucune explication, ils me prient de les suivre. J’ai tout de suite compris que leur visite et mon arrestation étaient liées à mon appartenance à un réseau de résistance où dans le début de l’année 1943, mon camarade HOUPLON m’avait intégré et inscrit à Londres. Quelques jours auparavant, un agent (boîte aux lettres) était venu m’apporter à la poste où il m’avait demandé au guichet, une importante demande de renseignements émanant de Londres et concernant l’aérodrome de St Dizier (Hte Marne). En attendant la préparation de la réponse (qui pouvait demander un temps assez long), j’avais mis le document dans la poche d’une vieille veste que je portais pour jardiner. Avant de quitter la maison, en disant au revoir à mon épouse, j’ai pu lui glisser à l’oreille où reposait le document afin qu’elle puisse le détruire avant que la Gestapo ne revienne faire une visite plus complète des lieux (ce qui ne s’est pas produit).  

 

Sorti de la maison, une voiture de marque « Citroën » traction avant, m’attendait à l’angle de la rue du Grand Ménétrier où là, les agents de la Gestapo me passaient les menottes avant de ma conduire à la maison d’André Marot, à l’angle du boulevard Gambetta et de la rue Diderot, face au conservatoire de Musique, qui était le siège de la Gestapo. Là, je dus répondre à une interrogation d’identité tout ce qu’il y a de normal et sans brutalité.  

 

L’interrogatoire terminé, j’étais pris en charge par mes deux agents qui me firent monter dans une voiture de marque « Renault » Juvaquatre vert pomme, conduite par le fils du Directeur du garage Renault, Claude B., âgé d’une vingtaine d’années, un jeune homme fringuant, habillé d’une superbe veste genre chasse à quatre poches, boutonnée jusqu’au menton et d’un non moins superbe pantalon bouffant type chasse également  et chaussé de bottes de cuir.  

 

Nous prîmes alors, il pouvait être dix heures du matin, la route de Châlons sur Marne, où l’on me déposait à la Gestapo, située quartier du Jard, qui me prit en charge.  

 

Les deux agents de la Gestapo troyenne donnaient alors rendez-vous au jeune B. dans un café voisin où vraisemblablement ils avaient l’habitude de se rencontrer afin d’y déjeuner.  

 

Je passais donc ma première nuit de prison à Châlons sur Marne.  

 

Vers vingt-deux heures, alors que j’étais couché, la porte s’ouvrit et un gardien de la Wehrmacht m’annonça que je devais me tenir prêt pour quatre heures du matin.  

 

Effectivement, le 2 Octobre 1943, à quatre heures, la porte de ma cellule s’ouvrit et je fus conduit dans un bureau où se trouvaient déjà deux femmes portant des valises. Un allemand était assis derrière son bureau, une feuille à la main, où en me penchant je pus lire mon nom et l’ordre de mon transfert pour Fresnes (Seine-et-Oise). Accompagné des deux femmes, je fus conduit à la gare de Châlons pour me retrouver un peu plus tard à la gare de l’Est. Là une voiture me conduisit à la prison de Fresnes (aujourd’hui dans le Val de Marne).  

 

Après une rapide interrogation d’identité, j’étais conduit dans une cellule du rez-de-chaussée de la troisième division où je me retrouvais seul pour passer ma première nuit du 2 au 3 Octobre 1943.  

 

Dès l’obscurité arrivée, alors que l’éclairage nous était toléré pendant quelques temps, les murs, à mon grand étonnement, se mettaient à vibrer aussitôt de tous côtés. Ces bruits étaient provoqués par mes voisins de cellule qui, frappant sur les murs avec leur cuillère, transmettaient des messages en Morse. En cassant un angle de la vitre de la fenêtre de ma cellule, je pus communiquer verbalement avec mon voisin qui me proposait aussitôt de m’apprendre le Morse. A noter que je possédais encore de bons restes de la lecture au son que j’avais pratiquée au 18ème Régiment du Génie à Nancy lors de mon service militaire en 1931-32. L’alphabet Morse étant composé de points et de traits, il suffisait de frapper un coup bref pour un point et 2 coups brefs rapides pour un trait. C’est ainsi que des conversations pouvaient s’échanger entre voisins une bonne partie de la nuit, les nouveaux  arrivants donnant les dernières nouvelles sur l’avance des troupes en particulier sur le front russe. Cela avait l’avantage de meubler les soirées et de les rendre ainsi moins pénibles en oubliant pour un temps les êtres chers, épouse et enfants dans mon cas.  

 

Pendant la journée, c’était un autre problème : la solitude qu’il fallait absolument rompre pour ne pas sombrer dans le désespoir. Pas question de se coucher et de dormir : le bat-flanc sur lequel nous nous allongions la nuit, devait être replié contre le mur durant la journée. J’ai fait mes études jusqu’au baccalauréat en série D au lycée de Troyes. Cette série, bien qu’à dominante Sciences et Mathématiques, laissait une part importante à l’enseignement du français. Pendant les quatre heures hebdomadaires de français, il nous fallait réciter une douzaine de vers des principaux auteurs allant de la Pléiade (Ronsard, Marot, Du Bellay...) aux Parnassiens (Leconte de Lisle, J.M. de Hérédia... ) en passant bien sûr par les classiques et les romantiques. C’est ainsi, qu’ayant une bonne mémoire, je passais des heures en arpentant ma cellule de trois mètres sur deux, à réciter tous ces poèmes que j’avais appris dans ma jeunesse, cherchant à reconstituer les vers que j’avais pu oublier. C’est  grâce à mon passage à Fresnes, que j’ai pu remettre à jour tous ces souvenirs  et qu’aujourd’hui à 88 ans, je suis encore capable de réciter la plupart de ces poèmes (ainsi que des poèmes en langue allemande : ma première langue). Un grand merci à ces professeurs de cette époque de ma vie qui m’ont aidé dans cette période où la solitude pouvait être fatale.  

 

Une fois par semaine, durant un quart d’heure, nous quittions un à un notre cellule, sans pouvoir nous apercevoir, pour rejoindre une autre cellule à ciel ouvert.  

 

Quelques jours après mon arrivée à Fresnes, j’étais conduit pour interrogatoire au siège de la Gestapo (GeheimnisStaat Polizei : Police secrète d’Etat), rue des Saussaies. Nous étions alors une cinquantaine de détenus, réunis dans une petite cour, quand un interprète demanda si parmi nous il y avait des volontaires pour être interrogés en allemand. Après réflexion je décidais d’accepter cette offre. Grâce à  de bonnes connaissances de base et travaillant depuis 1940 avec les techniciens allemands, je m’étais remis à parler leur langue, facilitant ainsi les relations journalières inévitables. J’ignorais totalement les circonstances de mon arrestation et je ne connaissais qu’une seule personne, mon camarade HOUPLON qui m’avait introduit dans le réseau et qui était lui-même recherché par la Gestapo. J’espérais que cet interrogatoire m’apporterait des éclaircissements sur les raisons de mon arrestation. Dès le début, on me demanda si j’étais l’auteur d’une lettre que l’on me présenta. Répondant par la négative, j’apprenais cependant par quelques détails les causes vraisemblables de cette arrestation. Un agent de liaison que j’avais eu l’occasion de rencontrer à Troyes, avait été intercepté porteur d’une lettre contenant une dizaine de noms dont le mien. Je constatais avec stupeur, qu’un petit carton vert accompagnait cette lettre : c’était le laissez-passer qui permettait l’identification du porteur. Ce petit carton, était une moitié de fiche des PTT qui permettait de taxer les abonnés utilisant le service des renseignements. Je possédais bien entendu la seconde moitié. Par bonheur, l’agent de la Gestapo ne fit pas le rapprochement entre cette fiche et mon appartenance aux PTT ! Toutefois, quelques questions plus précises et gênantes m’étant posées, je faisais semblant de ne pas comprendre, faisant ainsi répéter plusieurs fois ces questions, tant et si bien que l’agent finissait par abandonner. N’ayant absolument rien à me reprocher que d’avoir trouvé mon nom sur une liste, je justifiais cela par le fait que vraisemblablement mes relations avec les techniciens allemands en étaient la cause. Se contentant de ces réponses les agents de la Gestapo me laissèrent entendre que bientôt je serai libéré. Quelques semaines plus tard je devais de nouveau être interrogé, cette fois à la prison de Fresnes. Aux même questions, j’apportais les mêmes réponses et là encore mon interlocuteur me laissa espérer ma libération prochaine. Mais ma situation à la prison n’évoluait toujours pas. J’étais toujours seul dans ma cellule rêvant d’une liberté retrouvée. Aux environs de Noël 1943, peut-être même à Noël, j’assistais au bombardement de la région de Pantin à l’est de Paris ; les lueurs éclairaient les murs de ma cellule. Début Janvier 1944, j’étais transféré dans une autre cellule au 2ème étage de la 3ème division d’où je pouvais apercevoir le dernier mur de clôture de la prison et par derrière les champs et la liberté.  

 

Un matin, entendant mon voisin parler très fort en s’adressant de sa cellule à une femme dans les champs, je lui demandais si celle-ci qui était son épouse, pouvait me transmettre un message. A la suite de cette réponse favorable, je lui demandais d’informer mon épouse de ma présence à Fresnes. Pour simplifier, je donnais comme adresse : FANGET - PTT - Troyes. En effet, bien connu à la Poste de Troyes, j’étais certain que le message arriverait à bon port. Effectivement, un coup de téléphone annonçait à mon épouse ma présence à Fresnes en lui demandant de ne pas en faire état : le Directeur de la Poste, AMIEL, avait tout simplement déchiré la missive en disant que ce genre de courrier ne l’intéressait pas !  

 

Pour faciliter mes relations avec les cellules voisines, j’avais réussi à l’aide d’une vis à bois prélevée sur un tabouret, à débloquer la crémone de la fenêtre que je pouvais ainsi ouvrir. Par contre je ne pouvais plus la refermer solidement. Quelques jours plus tard, un gardien entra dans ma cellule, se dirigea directement vers la fenêtre qu’il ouvrit alors facilement. Après quelques coups reçus, j’étais reconduit sans explication dans une cellule du rez-de-chaussée où je me retrouvais à nouveau seul. Je trouvais insolite le fait que la lumière reste allumée toute la nuit et que le judas de surveillance de la porte s’ouvrait et se fermait  toutes les demi-heures environ. J’avais été placé sous haute surveillance et quelques jours plus tard, en revenant de la «promenade », je trouvais sur l’extérieur de ma porte, un carton rouge sur lequel je pouvais lire en allemand : « Versichtig Standig Kontrolieren », c’est à dire : Attention, à contrôler régulièrement !  L’incident  en est resté là.  

 

A la mi-Janvier, nous fûmes rassemblés avec une centaine de détenus dans un couloir de la prison. Quelle ne fut pas ma surprise de reconnaître parmi eux deux de mes anciens professeurs du lycée de Troyes que j’avais connus quinze ans auparavant. Il s’agissait de HÄNDRICH - professeur agrégé d’allemand et de SADRON - professeur de physique que je devais retrouver plus tard à Dora tandis que HÄNDRICH (qui parlait sept langues dont le Russe) était maintenu à Buchenwald.  

 

Nous fûmes alors dirigés vers la gare du Nord et embarqués dans un wagon de voyageur rattaché en queue de train en direction de Lille. Puis nous descendîmes en gare de Compiègne. Là, un jeune homme d’une vingtaine d’années, réussissait un exploit en sautant par la fenêtre avant l’arrêt total du train et en parvenant à rejoindre à contre-voie le quai opposé qui n’était pas contrôle par les troupes allemandes.  

 

Dès lors, nous nous rendîmes à pied au camp de Royal Lieu, une ancienne caserne distante de cinq à six kilomètres. Une nouvelle surprise m’y attendait : je retrouvais mon camarade Roger MAILLET que je connaissais depuis une dizaine d’années. Il était comme moi, technicien, lui à Reims, moi à Troyes et nous avions eu l’occasion de nous téléphoner fréquemment pour des raisons de service. Arrêté en Décembre 1943, il était au courant de mon arrestation. Unis comme deux frères, nous allions connaître le même destin : Buchenwald puis Dora.

 

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