Chapitre 4 : L’évasion et
le retour
Mai
1945
Constatant
le sommeil d’un de nos gardes, effondré sur son sac, silencieusement je préviens
mes deux copains et d’un bond nous sautons le fossé pour nous retrouver dans
la forêt sans qu’aucun coup de fusil ne soit tiré.
Pendant
ce temps, nos camarades qui étaient restés dans la colonne, continuèrent leur
progression et furent libérés aux environs de Malchow le 1er Mai
dans l’après-midi.
Quant
à nous, nous poursuivions notre marche pour nous retrouver vers le 1er
Mai entre Malchow et Parchim d’après notre carte. Nous étions cachés dans
la forêt, à une centaine de mètres de la route, d’où nous pouvions
surveiller le trafic.
Nous
étions vers le 3 Mai 1945 et bientôt il n’y eu plus aucune circulation sur
la route, mais par précaution, nous restions en lisière de forêt. Nous trouvâmes
quelques pommes de terre dans un silo voisin et de l’eau puisée dans un étang.
Depuis notre départ de Dora, nous portions une couverture et une gamelle. Avec
l’intention de cuire les pommes de terre, nous cherchâmes des pierres pour
poser nos gamelles. Aucune pierre dans la région. Soudain, Charles et Fernand
aperçurent un camion incendié sur le bord de la route et se dirigèrent vers
lui dans l’espoir d’y trouver de quoi poser nos gamelles. Ils y trouvèrent
un cochon calciné dont ils purent prélever quelques morceaux consommables.
Alors
qu’ils étaient disparus de ma vue depuis un bon moment et que je me demandais
ce qu’ils pouvaient bien y faire, j’entendis, venant de la route, un bruit
grandissant qui provenait d’un char suivi par deux sortes de troïkas (chars
à ban tirés par deux chevaux). Une dizaine de soldats russes étaient juchés
sur ces véhicules parmi un tas d’objets hétéroclites. Ils jouaient de
l’accordéon et dès qu’ils nous aperçurent, ils s’écrièrent, levant
les bras au ciel en voyant notre costume et le triangle rouge marqué d’un
« F », « franzouski ! De Gaulle ! ». Un
officier vint alors nous trouver et nous interrogea en français en nous offrant
un verre d’alcool tellement fort que nous ne pûmes l’avaler. Il nous dit
qu’il faisait partie de l’avant-garde et qu’il était en reconnaissance.
Je lui dis que nous surveillions la route depuis vingt-quatre heures environ et
que personne n’y était passé. Rassuré, il nous indiqua une ferme non loin
de là où il nous retrouva pour nous donner à manger.
Nous
étions aux environs de Parchim à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest
de Malchow. Après nous être restaurés, nous quittons l’officier russe qui
nous donna de la nourriture et nous conseilla de partir vers l’ouest retrouver
les troupes américaines à une centaine de kilomètres. Sur de fraternels
adieux, nous reprenons la route sans rencontrer de troupes allemandes qui
avaient complètement disparu du secteur. Sur notre parcours nous trouvâmes une
vieille bicyclette dont les freins à rétropédalage étaient bloqués. Nous
nous en servîmes pour transporter notre matériel. Un jour nous rencontrâmes
une petite troupe de russes, des mongols à moitié sauvages qui faisaient
partie des troupes de choc. En voyant notre bicyclette, ils s’en emparèrent
et à grands coups de pieds, ils réussirent à réparer le freinage mais il
leur fut impossible d’arriver à tenir dessus ! Ils avaient les bras
garnis de montres volées. Un peu plus tard nous réussîmes à trouver dans une
ferme un petit chariot et un cheval, ce qui nous permis d’avancer plus
facilement.
Nous
étions maintenant au début du mois de Mai 1945. Un jour, sur le bord de la
route, je trouvai une combinaison chauffante d’aviateur anglais que je
ramassai, pensant la ramener chez moi, mais je dus l’abandonner un peu plus
tard car elle était trop lourde pour moi. En quelques jours, nous restaurant au
passage dans des fermes, nous arrivâmes sur les lignes alliées. Il
s’agissait en fait de troupes britanniques qui nous prirent en charge pour
notre rapatriement.
Je
souffrais depuis plusieurs jours d’un énorme abcès à la cuisse droite et
mon premier souci fut de me le faire inciser à l’infirmerie de campagne. Je
n’en fus véritablement débarrassé que quelques mois après mon retour en
France.
Alors,
étape après étape, sans jamais coucher au même endroit, nous commençâmes
notre long périple du retour.
Vers
le 10 Mai, nous franchîmes l’Elbe sur un pont de bateaux ondulant sur le
fleuve, transportés par des camions GMC.
Le
15 Mai, nous atteignîmes le Rhin aux environ de Nimègue à Kevelar, en
Hollande. Cette région fut rendue célèbre par l’anéantissement à Arnhem,
d’une division de parachutistes qui étaient attendus par les allemands prévenus
par la femme du responsable local de la résistance hollandaise (un certain
« King-Kong »). Celle-ci dut avouer sous la torture ce qu’elle
savait sur l’opération de parachutage. Les anglais pilonnèrent par représailles
toute la région encore occupée par les allemands.
Là,
un train nous emporta vers Bruxelles. Après un repas arrosé d’un verre de
vin servi à la « gare du
Midi », nous passions une visite médicale avant de gagner Lille. Dés
notre arrivée, nous devions à nouveau subir une visite médicale approfondie
et une désinfection totale où nous perdîmes les derniers poux vestige de
notre séjour passé. Pendant la visite, lors de la radio des poumons, le
radiologue s'étonna du bon état de mes poumons sachant que je venais de Dora déjà
connu du corps médical pour ces ravages pulmonaires. Il me signala toutefois
des traces de pleurésie guérie ce qui me surprit et puis en puisant dans ma mémoire,
je me souvins de mes débuts dans le tunnel en Février 1944 où j’avais du
avoir quelque 40° de fièvre durant une quinzaine de jours. Le praticien
souligna alors la chance que j’avais eue de m’en tirer à si bon compte !
Habillés
de neuf, nous fûmes dirigés vers la gare où on nous demanda notre
destination. Pour mes deux copains grenoblois, ils furent acheminés vers Paris.
Quant à moi, on me proposa Reims et je protestais aussitôt en arguant du fait
que les communications entre Reims et Troyes sont peu faciles et peu fréquentes.
On me refusa la destination de Paris et l’on me délivra un ticket pour Reims.
Nous devions voyager par trains spéciaux qui ne circulaient pas tous les jours
et nous étions un jour sans train. En nous promenant le long des quais pour
tuer le temps, nous aperçûmes une pancarte en tête de ligne qui annonçait
« direction Paris » . Le départ était prévu dans quelques
minutes. Notre décision fut vite prise et, au coup de sifflet du chef de gare,
nous sautâmes dans le dernier wagon de ce train réservé aux civils, malgré
la présence d’une sentinelle et en route pour Paris !
Dans
le train qui nous ramenait vers Paris, je me délestai d’un superbe jambon et
d’un kilo de sel que je transportais dans un sac à dos depuis mon évasion,
au profit de voyageurs qui n’en croyaient pas leurs yeux. Quelle erreur !
Je pensais naïvement que depuis la libération on pouvait trouver tout ce
qu’on voulait mais je me trompais car les tickets d’alimentation existaient
toujours !
Le
17 Mai 1945, nous arrivâmes enfin à la gare du nord où des jeunes gens très
aimables, portant des pancartes « déportés », nous conduisaient
directement à l’hôtel Lutétia, boulevard Raspail dans le 6ème
arrondissement. C’était là le centre d’accueil des déportés, qui porte
encore aujourd’hui une plaque marquée « Souvenir ».
De
nombreuses personnes, pour la plupart porteuses de photographies, interrogeaient
les arrivants : « Avez-vous connu cet homme ? Etiez-vous dans
tel ou tel camp ?... ».
Nous
fûmes reçus comme des rois, restauration et téléphone à notre disposition.
J’appelai immédiatement mon numéro personnel à Troyes et je tombai sur mon
beau-père qui me dit que ma femme m’attendait à Paris chez BICHOT qui était
notre boulanger avant mon départ et qui s’était installé Cours de
Vincennes. Ayant noté l’adresse de notre ami, je fus immédiatement conduit
en taxi par un des jeunes qui nous étaient attachés. Là je retrouvai mon épouse,
suffoquée de me voir arriver alors qu’elle se rendait tous les jours aux
arrivées officielles des trains réservés aux déportés et que j’étais
arrivé par un train de civils !
En
fait, ma femme avait été prévenue par le Directeur régional des PTT qui
avait reçu un message d’un de mes amis, le futur général LESCHI. En effet,
celui-ci, après sa libération de Dora, avait rapidement pu rejoindre Paris en
avion et avais signalé ma présence, en bonne santé, sur les routes allemandes
et annoncé mon prochain retour pour la France. Ainsi avertie, mon épouse
regagna alors Paris et, en logeant chez nos amis boulangers et attendant mon
retour.
Je
retrouvais également à Paris, le cousin germain de ma femme, René MONGIN, qui
habitait dans le 15ème et chez qui nous allions coucher. Après
quelques repas copieux et trop bien arrosés, je fus atteint d’une dysenterie
qui me cloua au lit avec interdiction totale de manger ! J’étais nourri
par du sérum que l’on m’injectait sous la peau du ventre.
C’est
dans ces conditions que je reçus la visite de mes enfants, de mes parents et
beaux-parents.
En
quelques jours j’étais complètement rétabli et je pouvais rejoindre mon
domicile à Troyes après vingt mois d’absence.
Le
17 Août 1945, je reprenais mon service au central téléphonique de Troyes.
Ainsi
se terminait cette exceptionnelle aventure qui aurait pu se terminer plus mal.
D’après
des études les plus sérieuses et malgré l’incertitude qui existe toujours
dans les évaluations en raison des destructions d’archives pratiquées par
les SS pour camoufler leurs crimes, on estime à soixante mille le nombre de détenus
qui passèrent par Dora et ses "Kommandos" entre Août 1943 et Mars 1945.
Parmi
les neuf mille français déportés, quatre mille huit cents y ont trouvé la
mort !
Chapitre 3 |